LES ABYSSES, SI PROCHES ET SI LOINTAINES …
Des abysses, nous avons gardé l’image de vastes étendues sous-marines, sombres, glaciales, et résolument hostiles. Elles commencent généralement à 1000 mètres de profondeur, là où les rayons du soleil ne percent plus du tout, pour plonger jusqu’à 11 kilomètres en dessous du niveau de la mer.

Les océans couvrent 75% de notre surface terrestre et les abysses en constituent plus des trois quarts pourtant, les grands fonds marins sont encore largement inexplorés. Si inexplorés à vrai dire que même notre système solaire nous est mieux connu.
Si loin sous la surface des eaux, la pression est considérable, la lumière inexistante, la nourriture presque absente. Et malgré tout, la vie y existe à tous les niveaux.
Plongez dans les Abysses
Longtemps considérées comme dénuées de vie, les grandes profondeurs des mers et des océans abritent en réalité une diversité très riche d’êtres vivants. À quelques centaines de mètres sous la surface, tout devient sombre. La photosynthèse s’interrompt, les plantes disparaissent et la vie devient exclusivement animale.
Une vie forcée de s’adapter à des conditions très particulières et qui a donné naissance à des espèces radicalement différentes de ce que l’on peut régulièrement croiser à la surface. Poisson-vipère ou baudroie abyssale semblent sortis tout droit d’un autre monde et d’un autre temps avec leurs longues dents acérées.

Les abysses et leurs contraintes
La lumière
À 200 mètres sous la surface, les rayons du soleil ne percent plus. Bon nombre des espèces des grands fonds sont donc aveugles ou dotées d’yeux hypertrophiés qui leur permettent de capter la moindre lumière. Et pourtant, les abysses sont loin d’êtres aussi sombres que l’on serait tentés de le croire. On estime qu’environ 80% des espèces abyssales sont luminescentes, c’est-à-dire capables d’émettre de la lumière par réaction chimique.
Poisson-lanterne, éponge lampadaire, leur simple évocation nous met mille images en tête. Quant au syphonophore, il est une forme de zooplancton entièrement lumineux pouvant dépasser les cent mètres de long.

En plus de permettre aux espèces de communiquer entre elles, la bioluminescence est un outil de taille pour chasser ou pour se défendre. Attirées par la lumière, les proies se dirigent ainsi tout droit vers la gueule du poisson-pêcheur tandis que le calamar des profondeurs a troqué son nuage d’encre pour un nuage de lumière au moment de prendre la fuite.
De nombreuses espèces de poissons ont ainsi développé une peau très noire capable d’absorber 99,5% de la lumière, un peu à la manière dont le fait déjà le plumage des oiseaux de paradis. Ainsi camouflés, ils deviennent parfaitement invisibles dans leur environnement ce qui leur permet de réduire jusqu’à six fois la distance à laquelle leurs proies les repèrent habituellement. À l’intérieur de certains poissons, même la peau de l’intestin est noire de manière à absorber la lumière des proies bioluminescentes qu’ils consomment.
La pression
La pression augmente progressivement avec la profondeur. Sachant que la pression en surface est légèrement supérieure à 1 bar et qu’elle augmente d’un bar supplémentaire tous les 10 mètres, la pression au creux des fosses océaniques dépasse largement les 1000 bars. L’équivalent du poids d’une voiture sur la surface d’un timbre poste.
Pour y résister, les espèces marines des abysses ont abandonné leur vessie natatoire traditionnelle. Initialement remplie de gaz afin de leur permettre de flotter, celle des créatures des grands fonds est remplie de graisse ou de cire et complétée d’une protection supplémentaire afin de la rendre plus robuste.
On remarque d’ailleurs que les poissons osseux se font rares à mesure que l’on plonge plus en avant dans les océans, pour être remplacés par des espèces gélatineuses, facilement malléables.
La température
Les abysses ne connaissent ni l’alternance des saisons, ni les variations importantes de température. Dès 1000 mètres de profondeur, la température moyenne des abysses frôle les 2 degrés pour diminuer progressivement en atteignant le fond des océans.
La nourriture
La faune se raréfie en descendant dans les profondeurs, et avec elle la quantité de nourriture disponible.
Dans les abysses de temps à autre, le cadavre en décomposition d’un grand mammifère marin offre une source de nourriture éphémère à une formidable quantité de petits animaux. On estime qu’environ 90% des cadavres de baleines atteignent les fonds marins et alors, une biodiversité très active se met en place le temps de quelques années ou de quelques décennies.
Mais la plupart du temps, la nourriture disponible dans les grands fonds se limite aux déjections des animaux nageant dans les zones supérieures, et à la neige abyssale composée des fines particules issues de la matière organique tombant de la surface. À l’image du phytoplancton que l’on retrouve dans les écosystèmes marins baignés de lumière, cette pluie de détritus organique est à la base de la chaîne alimentaire dans les abysses.
Forcément plus abondante dans les régions côtières du fait de la présence plus importante du plancton et donc de la faune et de la flore, la quantité de neige abyssale diminue à mesure que nous gagnons le large.
Puisque les proies se font rares, bon nombre d’animaux ont adapté leur mécanisme biologique en conséquence. La plupart sont capables de supporter des jeûnes prolongés et ont pris l’habitude de se mouvoir beaucoup plus lentement afin de préserver leur énergie entre deux repas comme c’est le cas du requin luth ou du poisson-revenant..
Pour faciliter leur quête perpétuelle de nourriture, c’est aussi leur densité musculaire qui est plus réduite, leurs écailles qui sont plus légères. Les poissons carnivores des abysses possèdent généralement une bouche démesurée munie de grandes dents pour que chacune de leurs attaques soit un succès.
D’autres espèces telles que l’eurypharynx sont désormais capables d’engloutir des proies plus grosses qu’elles grâce à un étonnant estomac élastique.